Archi-militant | Misez 80 euros, emportez 230.000 euros!
C’est à Merdorp que ça se passe, dans un trou paumé du bout de la province de Liège, à proximité de la province du Brabant wallon. Plus à l’ouest, les prix atteignent des sommets himalayens. Une fois la frontière provinciale franchie, les prix redescendent très petitement pour atteindre l’altitude d’un camp de base. En tant que sherpa, j’ai décidé d’accompagner ma fille et son compagnon dans la recherche d’une maison.
Et c’est précisément là, à Merdorp, un des villages les plus enclavés de la commune d’Hannut, qu’elle pensait avoir trouvé de quoi faire son bonheur: 180m² d’espaces de vie, plus 60m² pour la partie professionnelle. Un beau grand hall au beau milieu d’une maison d’un blanc immaculé, avec un impressionnant volume dégagé qui va lui permettre de jouer sur l’espace pour permettre à ses patients de faire des galipettes sur les escaliers, de feindre des sauts en longueur ou encore de se requinquer en trottant à l’aise sur un tapis roulant. Normal: le bâtiment était autrefois une grange, avec tout le volume exploitable que cela représente.
Avec ses mises à jour périodiques, le mouchard Streetview nous apprendra que ladite grange était dans un état déplorable fin 2018, qu’elle a sans doute été rachetée pour une bouchée de pain, et que les travaux ont été effectués en un éclair (encore et toujours si l’on en croit l’oeil de Google Streetview). Trop vite pour être vrai? Sans doute: une discussion avec le voisinage nous apprendra que le chantier a été fait à la hussarde par des ouvriers qui ne parlaient ni le patois local, ni le français, que le crépis et le stabilisé ont été stockés sous le cagnard avant une mise en oeuvre en catastrophe pour finaliser le chantier et permettre à l’entrepreneur de mettre le bien sur le marché en 2019.
Depuis, la maison n’a pas bougé. Son prix non plus: 500.000 euros. La baignoire, la salle de douche, les carrelages sont, eux aussi, toujours blinquants, mais une visite effectuée sur place avec ma fille, complètement conquise, m’a fait sentir comme une embrouille. Une déformation professionnelle de journaliste, peut-être renforcée par ma collaboration régulière à ce vénérable site d’information (merci Architectura)… Bref, cette maison, je ne la sentais pas, malgré l’ingéniosité de l’architecte bruxellois qui a su transformer cette grangette branlante en un enchaînement malin d’espaces privés et professionnels. Le hic, c’est qu’aux plans de l’architecte, ont succédé l’arsenal pas honnête de l’entrepreneur, qui s’est dépensé sans compter pour rénover, jetant ça et là des tonnes de poudre aux yeux.
En fin de compte, tout s’est fini par la visite d’un architecte, conseil de ma fille et de son compagnon. Le consultant a posé une heure durant ses yeux sur les détails de la bâtisse: humidité ascensionnelle, évacuation problématique des eaux pluviales, tablettes d’appuis de fenêtre mal dimensionnées, jour énorme entre le sol et le bas de la double porte de ce qui tenait lieu de porte de grange, et puis encore ceci: où sont donc les dégraisseurs? Interrogé à ce sujet, l’ ”agent immobilier” est pour l’heure sans doute encore occupé à rechercher la signification de ce terme chez son vieil ami Robert. A moins qu’il ne pense déjà à autre chose…
En fin de compte, des 500.000 euros du départ (compte tenu des nombreux détails qui clochent), l’architecte-conseil a descendu (en flèche) le prix de vente raisonnable estimé pour le ramener à… 270.000 euros. Dont coût: 80 euros d’honoraires pour un gain de 230.000 euros. Je n’ai jamais vu entrepreneur aussi peu scrupuleux, agent immobilier aussi peu professionnel, et placement aussi rentable. Amis architectes, je vous dis merci!
 
			