Herstal : une nouvelle école exemplaire pour une ville en transition (AASA Architectes)
À Herstal, la future implantation de l’école Lambert Jeusette apparaît comme l’une des initiatives urbaines les plus structurantes et ambitieuses de ces dernières années. Inscrit au cœur d’un quartier dense en équipements — hall omnisports, piscine, espaces publics — le projet dépasse la seule réponse scolaire. Il redéfinit une géographie, répare des continuités brisées et crée littéralement un nouveau paysage.
Pour Vincent Evrard, administrateur du bureau AASA, l’idée fondatrice était limpide dès les premières esquisses : « Nous voulions une école qui ne se contente pas de prendre place dans un site, mais qui en devienne la colonne vertébrale. Une école qui relie, qui répare, qui réconcilie la ville avec sa topographie et ses espaces verts ».
Cette ambition se lit à chaque niveau du projet. Les deux bâtiments qui composent l’école, légèrement décalés et reliés par de grands porches, s’insèrent avec une grande douceur dans un relief contrasté. Les toitures monopentes accompagnent la pente naturelle : elles créent une silhouette ascendante qui guide le regard vers le haut du site, tandis que les préaux courbes, presque organiques, s’immiscent dans la végétation.
Tout est pensé pour la lisibilité et la fluidité. D’un côté, le bâtiment des maternelles occupe le niveau inférieur, en prise directe avec une cour protégée ; au-dessus, le premier cycle du primaire prolonge cette déclinaison pédagogique. De l’autre côté, le second bâtiment accueille les espaces communs, puis les classes des plus grands au dernier niveau. Entre ces pôles, de vastes agoras en double hauteur jouent un rôle clé : lieux de passage mais aussi de rencontres, de créativité, d’exposition, elles incarnent une nouvelle manière d’habiter l’école.
Une école comme moteur d’un quartier réinventé
Au-delà de ses murs, la nouvelle école joue un rôle d’articulation urbaine déterminant. La création d’une liaison douce entre la Ville Haute et la Ville Basse constitue sans doute la transformation la plus visible. Long ruban praticable par tous, sans escalier, largement dimensionné, il offre une alternative confortable aux dénivelés importants du secteur. Dans une ville mosane où le relief peut parfois décourager la marche, cette nouvelle pente maîtrisée devient une invitation à la mobilité lente.
Parallèlement, une promenade verte forme progressivement un véritable bois urbain. Ce corridor écologique s’étend à terme sur près de deux hectares et relie plusieurs équipements du quartier. Les toitures plantées, les jardins suspendus et les plantations indigènes participent à créer une respiration rare dans cette partie de la ville. À l’échelle du piéton, ce réseau recompose une continuité paysagère qui était jusqu’ici absente.
Comme le résume Vincent Evrard : « Nous avons cherché à rendre la nature indissociable du parcours quotidien. L’école devait être au cœur d’une expérience verte, pas un objet isolé dans un décor ».
Un programme généreux et ouvert
Le programme pédagogique s’inscrit dans cette volonté d’ouverture. Les cours différenciées, reliées par un amphithéâtre extérieur, incitent à multiplier les usages : scène de spectacle, lieu d’assemblée, espace de jeu à niveaux. Dans le prolongement, le jardin didactique prend place au-dessus du préau, à la manière d’une clairière suspendue. Entre les arbres qui percent la toiture, un banc circulaire accueille la classe du dehors, effaçant la frontière entre structure bâtie et environnement naturel.
À l’intérieur, chaque salle bénéficie d’un éclairage naturel abondant, renforcé par les verrières inclinées qui coiffent les agoras. Les cadrages multiples — verticaux, horizontaux, fixes ou ouvrants — sont volontairement positionnés à hauteur d’enfant pour ouvrir des perspectives sensibles : sur un arbre, un pan de ciel, une partie du jardin. Les recherches démontrant les effets apaisants du végétal sur la concentration et le bien-être ont été précieuses ici, et l’équipe de conception les a pleinement intégrées.
La durabilité comme fil directeur
L’un des aspects les plus frappants du projet réside dans la cohérence environnementale de l’ensemble. L’école a été pensée comme un organisme sobre, adaptable, et dont le fonctionnement quotidien réduit au maximum l’impact sur les ressources.
Pour commencer, le chantier lui-même limite les déchets et les transports. L’implantation en terrasse a permis d’éviter toute évacuation de terre, les déblais étant intégralement revalorisés sur place. Les matériaux issus de la démolition seront quant à eux concassés et réutilisés pour les abords.
Cette logique se prolonge dans les choix constructifs : structure sur colonnes pour maximiser la flexibilité future, cloisons démontables en Metal-Stud, isolation en laine de roche, façades en briques silico-calcaires performantes. Les briques de parement, quant à elles, sont particulièrement remarquables puisqu’il s’agit de briques CO₂-négatives : elles absorbent davantage de carbone qu’elles n’en émettent lors de leur production. Leur teinte verte, assumée, devient un signe visuel fort de cette volonté d’innovation responsable.
L’énergie est elle aussi au centre du dispositif. Le chauffage sera alimenté par le réseau de chaleur urbain Herstal Énergie Verte, tandis que deux grandes centrales photovoltaïques, installées sur les toitures, permettront d’atteindre un bâtiment à énergie positive. Les systèmes de ventilation double flux, pilotés par capteurs de CO₂, assurent un air sain en minimisant les besoins. Le free-cooling nocturne, rendu possible par les ouvrants motorisés en toiture, s’appuie sur la forte inertie thermique des bâtiments pour maintenir un confort optimal en période chaude.
Un cycle de l’eau transformé en outil pédagogique
Peu d’écoles disposent d’un dispositif hydrologique aussi complet et aussi lisible que celui-ci. Les toitures stockantes servent de bassins d’orage à ciel ouvert, rassemblant et temporisant les eaux avant infiltration intégrale sur le site. Deux grandes citernes de récupération prolongent le dispositif et alimentent les sanitaires.
Là où nombre de projets cherchent à dissimuler l’eau, celui-ci choisit de la montrer. Les enfants observent directement, depuis leur classe, les variations de niveau lors des pluies intenses. Des canards en bois flottent sur le bassin des plus jeunes tandis que, dans les classes supérieures, une maquette de village se laisse progressivement inonder, rappelant les risques liés à une gestion déficiente du cycle de l’eau.
Sur ce point, Vincent Evrard insiste : « La durabilité n’a de sens que si elle devient un apprentissage. Cette école ne montre pas seulement l’exemple : elle explique, elle raconte, elle fait comprendre ».
Une école qui dépasse son rôle scolaire
Avec ce projet, la Ville de Herstal ne se contente pas d’offrir une nouvelle école. Elle réinvente un quartier, améliore les mobilités, crée un parc linéaire urbain, renforce la biodiversité et propose un cadre d’apprentissage ancré dans les enjeux contemporains.
Le projet Lambert Jeusette représente l’une de ces opérations où l’architecture se met pleinement au service de la ville et de ses habitants. Une école inclusive, évolutive, capable d'accompagner les pédagogies de demain tout en améliorant la qualité de vie d’un large territoire. Une école, surtout, où l’enfant — par le regard, le déplacement, l’expérience sensible — est placé au centre de chaque décision de conception.