Info technique : Les eaux de rabattement peuvent-elles être utilisées dans les installations sanitaires résidentielles ?
Les problèmes de sécheresse devenant de plus en plus préoccupants, on observe un intérêt croissant pour la (ré)utilisation des eaux de rabattement, d’ordinaire simplement évacuées vers les égouts. Fin 2020, le CSTC a mené une campagne d’échantillonnage visant à analyser la qualité de ces eaux. Il en ressort que leur utilisation dans les installations sanitaires résidentielles (toilettes, machines à laver, …) n’est pas recommandée. Un article de Bart Bleys, ir., chef du laboratoire ‘Techniques de l’eau’, Karla Dinne, ing., chef du laboratoire ‘Microbiologie et microparticules’ et Noël Huybrechts, ir., chef de la division ‘Géotechnique, structures et béton’ du CSTC ainsi que Griet Goossens, ir., conseillère Environnement à la Confédération flamande de la construction, paru dans le magazine Contact n°76.
Les problèmes de sécheresse
La succession de périodes extrêmement sèches (2017, 2018 et 2020) a placé la question de la sécheresse au cœur de l’actualité ces dernières années en Belgique. Le gouvernement flamand tente ainsi, par le biais du ‘Blue Deal’, d’intensifier ses efforts dans la lutte contre la pénurie d’eau. L’utilisation des eaux de rabattement est encouragée et facilitée par plusieurs villes grâce à des initiatives telles que www.werfwater.be. Il faut toutefois veiller à ce que la qualité de ces eaux convienne à l’usage prévu.
Trias aquatica
Selon les principes de l’approche trias aquatica, plusieurs options permettent de réduire l’impact d’une opération de rabattement :
- l’utilisation rationnelle de l’eau : réduction de la quantité d’eaux de rabattement pompées grâce à une optimisation du système de contrôle, à l’isolation hydraulique de la fouille, …
- l’utilisation circulaire de l’eau : la (ré)utilisation des eaux de rabattement (de qualité non potable) pour certaines applications
- la remise à niveau locale de la nappe phréatique par le biais de rabattements retour et de l’infiltration des eaux de rabattement.
Dans ce contexte, il faut en priorité limiter la quantité d’eaux de rabattement. Les rabattements retour et la réutilisation peuvent être envisagés ultérieurement.
La qualité des eaux de rabattement
Il existe peu d’informations concernant la qualité des eaux de rabattement. Ainsi, on sait peu de choses de la qualité microbiologique de ces dernières, alors que leur (ré)utilisation éventuelle et leur stockage en dépendent. Fin 2020, le CSTC a donc lancé, en concertation avec la Confédération Construction flamande, une campagne d’échantillonnage exploratoire (en bouteilles stériles) sur quatre chantiers :
- chantier 1 : stockage des eaux de rabattement dans un conteneur, avec la possibilité d’effectuer des puisages d’eau et de laisser l’eau se déverser dans un ruisseau. Pour cette étude, un échantillon a été prélevé dans le conteneur
- chantier 2 : rabattement sans stockage. Les eaux se déversent directement dans l’égout public et le prélèvement d’un échantillon a été effectué à même le courant
- chantier 3 : stockage des eaux de rabattement dans une fosse temporaire en béton, avec possibilité de prélèvement, et débordement vers l’égout public. Les échantillons ont été prélevés aux points de puisage (après avoir laissé couler un peu d’eau) et au niveau du trop-plein (prélèvement direct)
- chantier 4 : rabattement sans stockage (excavation d’un étang pour une résidence privée). Un échantillon a été prélevé dans le tube piézométrique.
Une fois les échantillons prélevés, nous avons analysé certains paramètres chimiques et microbiologiques. Des concentrations accrues de fer et une dureté plus importante ont été constatées dans divers échantillons, ce qui peut entraîner une coloration de l’eau, de la corrosion et des dépôts de calcaire dans les installations sanitaires résidentielles. Une forte concentration en ions phosphore, azote et potassium a également été trouvée dans un des échantillons. Ces ions constituent des nutriments pour les micro-organismes et les algues. Ils sont dès lors susceptibles d’affecter la qualité de l’eau pendant le stockage.
En ce qui concerne les paramètres microbiologiques, outre la charge bactériologique élevée à très élevée (nombre total de germes à 22 °C compris entre 810 et 320.000 cfu/ml) et la présence d’organismes indicateurs fécaux, les fortes concentrations en bactéries ferriréductrices (BFR – entre 9.000 et 35.000 ufc/ml) et sulfatoréductrices (BSR – entre 5 et 120.000 ufc/ml) sont particulièrement frappantes.
Les photos montrent certains des échantillons testés. La coloration et les échelles de couleurs indiquent clairement des valeurs très élevées.
Les bactéries ferriréductrices et sulfatoréductrices sont l’une des principales causes de corrosion d’origine microbiologique (CMI). Les eaux peuvent en outre dégager une odeur persistante due à la présence des BSR et à leur production d’H2S, le gaz responsable de l’odeur caractéristique d’œuf pourri. Une fois ces bactéries présentes dans l’installation sanitaire, il est très difficile de les éliminer et plusieurs procédures de désinfection peuvent s’avérer nécessaires pour les éradiquer. La prévention est donc de mise. Ce phénomène peut se produire, par exemple, lorsqu’on utilise une eau de qualité non potable (eau de pluie, par exemple) pour la mise sous pression de l’installation.
Conclusion
Bien que le nombre d’échantillons prélevés au cours de cette campagne d’essai soit trop limité pour tirer des conclusions significatives d’un point de vue statistique, les résultats obtenus nous permettent d’affirmer que les eaux de rabattement ne conviennent pas pour un usage dans les installations sanitaires. Par conséquent, nous déconseillons fortement de les utiliser pour remplir une citerne d’eau de pluie. En revanche, l’arrosage des jardins et des parcs nous semble parfaitement envisageable. Des mesures supplémentaires doivent être effectuées durant les périodes plus chaudes, afin d’évaluer si l’utilisation des eaux de rabattement comporte un risque de développement de légionelles. En cas de stockage, le risque de stagnation est réel et plusieurs conditions (fer, nutriments, …) sont réunies pour entraîner le développement de la bactérie lorsque les températures sont favorables.
Source : CSTC Contact 2021/3 (n°75), pp. 22-23.