Rubrique juridique : Architecte et architecte d'intérieur
Il arrive fréquemment que le maître de l'ouvrage fasse appel à un architecte d'intérieur pour lui confier une mission qui dépasse largement la sphère de la décoration d'intérieur au sens strict. Ainsi certains architectes d'intérieur sont investis d'une mission portant sur des éléments importants de parachèvement. Ceci ne va pas sans poser quelques difficultés pour les parties et l'architecte, notamment en raison du chevauchement de missions, dès lors que l'architecte est lui-même investi d'une mission architecturale classique.
Il n'est donc pas inutile de rappeler quelques principes :
1.
La loi du 20 février 1939 (article 4) confère obligatoirement à l'architecte une mission complète de conception et de contrôle de l'exécution des travaux pour lequel « les lois, arrêtés et règlements imposent une demande préalable d'autorisation de bâtir ».
La même disposition ajoute « un arrêté royal indiquera les travaux pour lesquels le concours d'un architecte ne sera pas obligatoire ».
Cette matière est depuis lors régionalisée ; le CWATUPE pour la Wallonie et le COBAT pour la région de Bruxelles déterminent les travaux soit dispensés d'un permis d'urbanisme soit qui ne requièrent pas l'intervention d'un architecte.
Cela étant, l'intérêt bien compris du maître de l'ouvrage et par-delà l'intérêt général, recommande de confier à l'architecte une mission complète à deux égards ; la mission doit porter sur la conception et le contrôle, d'une part et elle doit concerner tous les travaux de gros œuvre et de parachèvement, d'autre part.
2.
On sait par expérience que confier à deux professionnels la même mission portant sur des réalisations, en l'occurrence de parachèvement, identiques équivaut à créer une situation de conflit et de confusion à éviter absolument.
3.
Le statut et le mode de fonctionnement de l'architecte d'intérieur est très différent de celui de l'architecte.
Il faut à cet égard prévenir toute confusion même si en Belgique, le titre d'architecte peut être porté par tout professionnel qui a passé avec succès les épreuves requises pour l'obtention d'un diplôme d'architecte.
Il ne sera pas pour autant autorisé à exercer la profession d'architecte.
La loi du 20 février 1939 distingue en effet le port du titre et l'exercice de la profession qui est règlementé par l'article 2.
Enfin pour exercer la profession d'architecte, il est indispensable de s'inscrire à l'Ordre des architectes conformément à la loi du 26 juin 1963.
L'architecte inscrit à l'Ordre jouit ainsi d'un monopole de l'exercice de sa profession qu'il exerce sous le contrôle de l'Ordre des architectes dans le respect de sa déontologie.
L'architecte d'intérieur, quant à lui, n'est pas soumis à une déontologie contraignante et à un ordre professionnel même si le diplôme d'architecte d'intérieur est reconnu par le législateur.
Il n'en demeure pas moins qu'il doit agir avec loyauté, ce qu'a rappelé un arrêt de la Cour d'Appel de Mons du 2 juin 2003 (RG2000/857) à propos d'un architecte d'intérieur qui s'était fait rémunérer par la perception de commissions payées par les entrepreneurs.
4.
Quelle est la mission de l'architecte d'intérieur ?
Une requête publiée le 14 mai 2007 au Moniteur, à l'initiative de l'Union des Designers en Belgique (UDB) précise « l'architecte d'intérieur imagine et structure des espaces par des aménagements et des transformations. Son rôle est de proposer une approche globale dans la conception d'environnements. Il peut également intervenir comme consultant, expert et enseignant. Ses domaines d'intervention peuvent trouver leur application aussi bien dans la transformation et l'aménagement des espaces publiques, que dans les espaces commerciaux ou privés. L'architecte d'intérieur peut également intervenir dans les domaines de l'architecture de communication, de la scénographie, de la signalétique ainsi que dans la conception et la réalisation d'expositions, de stands et de décors de théâtre. Il peut également créer du mobilier intégré à l'architecture, des luminaires, des objets… etc. ».
L'architecte d'intérieur peut donc concevoir et dessiner des éléments qui participent à l'espace, aux formes, aux matières et aux couleurs voire au mobilier meublant.
Certains architectes d'intérieur revendiquent d'ailleurs ouvertement leur aptitude à créer des espaces : « à titre de professionnels du design, nos connaissances nous permettent de créer des espaces qui répondent aux besoins humains. Ces espaces sont le domaine de notre compétence, de notre passion et de notre travail » cf. « déclaration mondiale sur les intérieurs » de l'IFI (International Federation of Interior Architects/Designers) qui ajoute : « nous façonnons les espaces qui façonnent l'expérience humaine. C'est ce que nous faisons, ce que nous créons, ce que nous offrons. C'est ainsi que nous gagnons notre place à la table de l'humanité ».
Or, il est enseigné traditionnellement que la première spécificité de l'architecte est précisément de créer des espaces et des volumes.
On voit bien, par cette définition, que les architectes d'intérieur entendent bien, eux aussi, participer à cette création lorsqu'ils proclament : « les designers d'intérieurs et les architectes d'intérieur déterminent le rapport des personnes avec l'espace en fonction de paramètres psychologiques et physiques, afin d'améliorer la qualité de vie ».
Le Conseil Français des Architectes d'Intérieur proclame sur son site (http://wwwcfai.fr) : « Créer un espace à l'intérieur du cadre bâti, c'est respecter l'architecture en l'amenant à son terme. C'est analyser les contraintes d'un bâtiment à une échelle différente de celle de l'architecte : celle de l'individu. Mais c'est aussi valoriser son utilisation sur une durée particulière : celle de l'instant ».
Ces définitions affirment l'architecte d'intérieur : « capable de concevoir aussi bien un espace intelligent, d'aborder les problématiques d'image ou d'ambiance, que de résoudre le détail de jonction entre deux matériaux, c'est un créateur polyvalent qui assure la maitrise d'œuvre de ses réalisations ».
« Située en amont de la prestation du décorateur ou de celle du designer, mais les rejoignant souvent en fin de parcours, l'activité de l'architecte d'intérieur couvre, outre l'aménagement de l'espace, des domaines très variés : depuis le design de produit ou de mobilier jusqu'au graphisme et la signalétique en passant par le design textile ou l'étude de la couleur, c'est leur relation prioritaire à l'espace qui fédère toutes ces disciplines ».
On lira avec intérêt le code des devoirs professionnels des architectes d'intérieur publié par le Conseil Français des Architectes d'Intérieur.
En ce qui concerne la rémunération, celle-ci est « unique et à la charge exclusive de son client ou employeur : elle doit donc être clairement définie par contrat ».
5.
L'architecte d'intérieur est une profession intellectuelle et libérale en principe qui peut être exercée comme salarié, comme indépendant dans le cadre d'une société.
Cependant, on constate que certains architectes d'intérieur exercent en réalité une activité d'entrepreneur général de travaux dans la mesure où ils exécutent ou font exécuter eux-mêmes certains ouvrages sous leur responsabilité.
L'architecte d'intérieur est parfois consulté pour exécuter une mission très semblable à celle généralement confiée à un architecte ; c'est le cas, lorsqu'il est chargé d'effectuer des études préalables de faisabilité du projet et du programme du maître d'ouvrage dans le cadre de travaux de rénovation ou de transformation.
Cette mission comporte l'examen des lieux, l'avant-projet et la mise au point d'une esquisse, une note descriptive, une analyse financière accompagnée d'une estimation du coût des travaux et cette mission de conception peut être suivie du contrôle de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception.
Dans un jugement du 25 juin 1997 (JMB 1999 pages 24-33), le Tribunal de Charleroi a estimé que pour certains types de travaux d'aménagement intérieur d'un immeuble, l'architecte d'intérieur devait nécessairement être inscrit à l'Ordre des Architectes et être porteur du diplôme d'architecte, à défaut, la convention d'architecte d'intérieur doit être déclarée nulle de plein droit sans possibilité de répétition des honoraires.
Il en va ainsi lorsque les travaux d'aménagement intérieur projetés et confiés à l'architecte d'intérieur nécessitaient un permis d'urbanisme et donc l'intervention d'un architecte inscrit à l'Ordre.
6.
Le mode de rémunération de l'architecte d'intérieur est également significatif de la différence avec la profession et les obligations de l'architecte puisqu'il n'est pas rare qu'un architecte d'intérieur se comporte en réalité comme un intermédiaire commerçant qui se procure et livre au client du mobilier ou qui touche des commissions des fabricants ou fournisseurs.
Dans certains cas, l'architecte d'intérieur peut être assimilé à un entrepreneur général.
7.
Comment peut-on concilier les interventions conjointes de l'architecte et de l'architecte d'intérieur ?
a.
Avant tout, il convient de respecter la dévolution de la mission architecturale imposée par la loi du
20 février 1939 ; aucun acte relevant du monopole de la profession d'architecte ne pourra être accomplie par l'architecte d'intérieur.
b.
La nature de l'intervention et la répartition de la mission de chacun seront clairement établies avant toute intervention.
Ces précisions seront faites avec un maximum de transparence et de clarté de façon à ne pas abuser de la légitime confiance du maître de l'ouvrage.
L'examen des titres et des documents professionnels (notamment le papier à lettre et les références) permettront d'apprécier la qualité de l'intervenant.
Il convient d'éviter tout à la fois les superpositions de missions, source de confusions et d'autre part des malentendus qui pourraient créer un vide préjudiciable au maître de l'ouvrage.
Les professionnels se concerteront donc afin de fixer et de limiter précisément l'étendue de leur mission et de leur responsabilité.
c.
La base de calcul des honoraires sera également soigneusement définie.
Normalement les honoraires de l'architecte calculés au pourcentage sur le coût des travaux s'étendent sur tous les travaux de gros-œuvre et de parachèvement rien excepté.
On peut, à cet égard, se référer à l'article 24 de l'ancienne norme déontologique « par dépenses totales, il faut comprendre toutes les dépenses généralement quelconques occasionnées au maître de l'ouvrage, du fait des constructions jusqu'à complet achèvement y compris le coût des peintures et à l'exclusion des taxes lui incombant ».
Il ne serait pas normal qu'un maître de l'ouvrage doive payer deux fois des honoraires à l'architecte et à l'architecte d'intérieur pour des travaux identiques.
CONCLUSION
L'appellation d'architecte d'intérieur non-protégée et règlementée recouvre des situations fort différentes ; certaines s'apparentent plus du rôle de l'architecte et d'autre de la mission ou de l'intervention d'un entrepreneur général.
Il conviendra donc d'examiner chaque cas attentivement en fonction de la nature réelle de la mission confiée à l'architecte d'intérieur et des qualifications de ce dernier.
La mission, les honoraires et les responsabilités de l'architecte d'intérieur devront être clairement identifiés, de même que le droit d'auteur.
En cas d'intervention simultanée ou conjointe d'un architecte et d'un architecte d'intérieur, ceux-ci et le maître de l'ouvrage détermineront soigneusement la répartition des missions, des responsabilités et des honoraires.
Note : Cet article est paru précédemment dans la revue architrave. Cet article peut également être consulté sur le site www.vergauwe-associes.be.