Une architecte qui fait un burnout parce que ses activités professionnelles particulières ne donnent plus sens à sa vie, ça arrive. Une architecte qui fait un burnout, et qui couche sur papier les raisons de son mal-être pour en faire un roman, c’est beaucoup plus rare. Ce parcours atypique, c’est celui de Bernadette Latour.
Namuroise d’adoption, Bernadette Latour a publié en décembre de l’année passée un roman policier dont l’intrigue est située à Montigny-le-Tilleul, seule ville de Wallonie où l’on ne trouverait pas (encore?) de centre commercial. C’est précisément cet élément qui a déterminé l’ex-architecte à y situer “Mort du colibri”. Sur la forme, son livre met en œuvre tous les bons ingrédients d’un policier. La quatrième de couverture nous apprend ainsi qu’un scientifique renommé est retrouvé sans vie sous sa serre. Très vite, les habitants de cette ville d’un peu plus de 10.000 habitants sont incriminés : un vétérinaire sans liquidité, un antiquaire sans gêne, une pharmacienne sans sentier vicinal, une infirmière sans amants, un négociant en whisky sans Ecosse, une veuve sans villa, et… un promoteur sans scrupule qui ambitionne visiblement d’y construire un “magnifique” centre commercial.
Je n'ai encore lu de ce roman que la quatrième de couverture, mais la thématique abordée et les commentaires que l’auteure a pu en faire jusqu’ici me semblent bien mettre en lumière la décrépitude de plus en plus marquée des centres urbains, vidés d'une bonne partie de ses badauds lorsqu'un de ces magnifiques temples du commerce s'installent en périphérie. Je le sens et je le vois lorsque je me promène à Mons, mais aussi à Nivelles, et dans beaucoup d'autres villes wallonnes dont la liste serait bien trop longue à établir. Bien sûr, des contre-exemples existent qui sont conçus intra muros, et dont l'ADN respire l'intelligence, mais ils restent malheureusement l'exception qui confirment la règle: pour répondre aux canons du consumérisme, le centre commercial doit avoir un énorme parking bétonné, aspirer les chalands en milieu de matinée, les capter pour un bon moment dans cet espace clos, leur y tracer un parcours qui va faire naître des besoins, leur sucer le maximum d’euros avant de les recracher en fin de journée avec un portefeuille considérablement allégé.
Vous l’aurez compris: c'est évidemment une manière peu enthousiasmante de considérer l'architecture commerciale. Et nombre d’architectes et d’urbanistes seront d’accord avec moi pour concéder qu’il y a d’autres manières d’envisager le développement d’un projet dans ce registre. Pour compléter la lecture de ce roman policier, je vous suggère de lire la prose d’Hélène Ancion de l'association wallonne Canopea (autrefois connue sous le nom d'Inter Environnement Wallonie). Dans son ouvrage intitulé "Centres commerciaux: mode d'emploi", la chargée de mission de Canopea adopte une posture constructive en listant tous les éléments qui peuvent faire de ce genre d’endroit quelque chose de bien, loin, très loin de ce à quoi les promoteurs nous ont habitués jusqu’ici.
Latour, Bernadette. La Mort du colibri. Paris : Lily Éditions, 2023. 429 p. ISBN 978-2-39056-091-3.
https://www.canopea.be/wp-content/uploads/2014/05/dossier_cc2018.pdf