Archi-militant : Calatrava, c'est mort à Venise, mais aussi à Mons, à New-York...
Connu pour ses réalisations dans le monde entier, l'architecte espagnol Santiago Calatrava Valls n'offre pas ce qu'on pourrait appeler le profil d'un architecte raisonnable. Tout est grand chez lui : son ambition, ses œuvres et, cerise sur le gâteau, les dépassements budgétaires. Sans doute un atavisme de la période gothique espagnole, tout en flamboyance et en démesure. Dans la profession, nombreux sont ceux qui l'accablent de reproches en tous genres. Au contraire du grand public, souvent impressionné par la grandeur de ses réalisations.
Ce chiasme entre la perception du grand public et des professionnels de l'architecture risque sans doute de s'effacer pour deux raisons.
La première est déjà connue : en cette période d'indigence des finances publiques, les dépenses somptuaires, fussent-elles consenties pour une gare ou pour tout autre édifice fréquenté par Monsieur et Madame tout le monde, sont de moins en moins bien perçues. Comment justifier des enveloppes publiques à plusieurs dizaines de millions d'euros, encore alourdies par des dépassements budgétaires souvent très importants alors que les moyens manquent aux pouvoirs publics pour assurer les besoins les plus élémentaires ? Donner un toit à chacun, veiller à ce que les toits des tribunaux ne s'effondrent pas sur les citoyens et sur ceux qui les jugent et les défendent, installer les corps de police dans des bâtiments sans amiante, avec des installations électriques aux normes, et des toitures qui ne percent pas etc.
En plus d'exploser les enveloppes, les chantiers de Calatrava se distinguent désormais négativement d'une autre manière, tout aussi désagréable pour le grand public. A Venise, le pont de la Constitution commis par l'architecte et inauguré le 11 septembre 2008 a négligé les personnes âgées, les personnes en chaise roulante. Celles et ceux qui marchent habituellement sans difficulté ne sont pas en reste car, par temps brumeux, le pont se transforme en patinoire publique à ciel ouvert. En 2010, on sait qu'un coûteux et ridicule système de remontées mécaniques a été installé pour pallier le fâcheux et coupable oubli des PMR, mais les ennuis n'allaient pas s'arrêter là. En août dernier, un tribunal vénitien a rendu son jugement dans l'affaire qui opposait l'architecte au donneur d'ordre. Venise lui reprochait la conception, nécessitant des entretiens périodiques plus fréquents (une fois tous les dix ans au lieu d'une fois tous les vingt ans comme annoncé au départ), transformant de ce fait le pont de la Constitution en véritable pont des Soupirs et l'histoire de Calatrava dans la cité des Doges en une véritable mort à Venise annoncée.
Un film que l'on peut supposer à épisodes : après Venise, la saga pourrait bien se poursuivre à Mons, New-York et sans doute dans d'autres endroits où l'architecte a manifestement eu les yeux plus gros que le ventre et des préoccupations volant bien au-dessus de celles des petites gens qui admirent par ailleurs ses œuvres avant de... s'y casser la figure.