Fondé en 2015 par Movses Der Kevorkian, Sill and Sound est un bureau d’architecture bruxellois doté d’une équipe d'architectes multilingue et multiculturelle. L'architecte, né à Beyrouth (Liban) essaie de concevoir l’architecture dans une relation critique, émotionnelle et intellectuelle avec notre environnement social, les espaces et les matériaux. Tout au long des projets, il s'agit d’expérimenter consciemment la question "comment être contemporain ?", tout en préservant une certaine distance par rapport à la contemporanéité. Depuis sa fondation, Sill and Sound a entrepris la conception et la construction des logements en Belgique, en Arménie et au Liban, ainsi que la rénovation et la gestion de chantiers de divers bâtiments classés dans la zone UNESCO de Bruxelles.
Votre vision de l’architecture
Parmi les projets que vous avez réalisés, quels sont ceux qui vous procurent le plus de fierté, et pourquoi ?
Un de nos projets que je voudrais mentionner ici est Korenbeek 161, un immeuble résidentiel composé de trois appartements en duplex, qui s'emboitent en L, comme des pièces d'un puzzle chinois. Une façade sud en polycarbonate maximise l'apport de lumière naturelle dans les chambres tout en offrant une intimité grâce à son caractère translucide. En soirée, une lumière diffuse provenant de ces mêmes espaces intérieurs éclaire la rue. Tout au long de la journée, donc, le bâtiment change graduellement d’aspect et de transparence, grâce au transfert de lumières dans ces deux sens. Un deuxième projet en cours concerne l’extension d'une maison unifamiliale située à Malines. L’approche consiste à localiser les zones de contact entre la maison existante et la nouvelle extension, et développer le potentiel des espaces générés par ce liaisonnement : les doubles hauteurs, la circulation verticale et les corridors constituent les points forts de ce projet.
Pour quel projet en cours ou en préparation avez-vous des attentes élevées ?
Nous travaillons actuellement sur un projet d'une villa à Bruges. L'approche est de construire une maison qui veut profiter au maximum de l'extérieur, c'est à dire qu'elle s'ouvre vers la nature et s'étale dans plusieurs directions, mais s'articule en même temps autour d'un espace centrale intérieur qui 'ramasse' pour ainsi dire les différentes zones d'habitation. L'architecture montre ce déséquilibre, cette ambiguïté, et devient la résultante de ces deux vecteurs qui sont en perpétuelle opposition : la transparence et l’intimité. En conséquence un travail d'ouverture et de délimitation entre extérieur et intérieur est sous étude. Un autre projet en cours concerne la création de logements pour la population touchée par la récente guerre en Arménie, dans la région du Haut-Karabagh. Avec un budget très limité, nous essayons de proposer des logements qualitatifs qui tiennent compte au maximum du mode de vie local et les habitudes, en organisant les espaces intérieurs et extérieurs en fonction de leur besoin journalier, ce qui diffère énormément de la notion que nous nous faisons d’une habitation en général.
Quel projet d’un autre architecte belge est selon vous un coup dans le mille ?
L’aanbouw atelier de LAVA architecten est un beau projet, selon moi.
Quels architectes étrangers sont pour vous une grande source d’inspiration ?
J’aime beaucoup le travail de BRUTHER et leur activité pluridisciplinaire. Leur travail s’inscrit toujours dans une idée de performance.
Quels projets récents construits à l’étranger considérez-vous comme particulièrement réussis ?
Je trouve que la tour de Rafael Viñoly, le 432 Park Avenue à New York est spectaculaire. Un immeuble de logements à Beyrouth, le Stone Garden Housing conçu par Lina Ghotmeh est aussi un très beau projet. La surface du bâtiment est revêtue d’une matière brute entièrement labourée à la main.
Quel jeune architecte belge vous impressionne le plus pour le moment ?
Puls Architecten est un bureau très intéressant. J’ai une estime pour les architectes dont les travaux permettent de ‘lire’ une réflexion architecturale plutôt que montrer le produit final, qui parfois peut ne pas être forcément représentatif du long processus de conception.
Quels aspects du métier d’architecte trouvez-vous passionnants ? Inciteriez-vous vos enfants à vous suivre dans cette voie ?
Je trouve que le métier d’architecte tend à tout moment à déraper vers une activité d’élites, c’est à dire que nous sommes amenés à travailler dans un contexte où l’architecture est souvent considérée comme le produit d’une construction couteuse, d’un ensemble de détails et de techniques compliqués qui la transforme en un dispositif. Du coup, comment faire pour libérer l’architecture du cercle des bureaux techniques et des consommateurs de matériaux ? Comment faire pour que l’architecte ne contribue pas à l’inégalité sociale ? Comment faire pour que l’architecture trouve un caractère humanitaire et fasse preuve de prise de conscience ? Voici l’aspect qui m’intéresse le plus dans ce domaine : pour une architecture de gauche ! Comme Gilles Deleuze disait, il faut savoir que les problèmes du tiers-monde sont plus proches de nous que les problèmes de notre quartier.
Quelle rencontre fut décisive pour votre épanouissement en tant qu’architecte ?
Il ne s’agit pas d’une rencontre avec une personne, mais avec une exposition. C’était en 2006, une installation dans le centre Pompidou réalisée par l’agence Morphosis (dirigé par l’architecte Tom Mayne). Des maquettes, dessins, images 3D, webcam des sites en construction ou de l'agence, films et projections aménagés sous une grande plate-forme vitrée. Les spectateurs circulaient sur cette plate-forme, favorisant une expérience interactive avec toutes les dimensions du travail de Morphosis.
Vous reconnaissez-vous encore dans le jeune étudiant ambitieux que vous avez été ? Rêve et réalité se sont-ils rejoints ?
Je n'ai jamais rêvé être architecte à proprement parler, et même actuellement j'essaye d'éviter de considérer l'architecture comme une profession et un métier bien défini. Moins nous la définissons, plus il sera possible de la travailler, de la concevoir comme une vision de vie.
Un peu de tout
Quel autre métier auriez-vous voulu exercer ? J’aurai aimé être anthropologue ou libraire.
Où avez-vous suivi votre formation en architecture ? à Beyrouth, Liban.
Quel était le titre de votre travail de fin d’études ? Centre de recherche et de sauvegarde des patrimoines en danger.
Votre livre d’architecture favori : ‘Making Anthropology, Archaeology, Art and Architecture’, de Tim Ingold.
Votre livre favori (hors architecture) : ‘Création et Anarchie’, de G. Agamben.
Votre film préféré : ‘Sayat-Nova’ de Paradjanov, ‘The Stalker’ de Tarkovsky.
Votre programme tv préféré : pas de télé chez nous !
Votre musique favorite : Ces jours-ci, c’est Skip and Die, sinon Tigran Mansurian, au moins une fois par jour.
Que faites-vous volontiers dans vos temps libres (si vous en avez) ? : De la traduction du français vers l'arménien.
La ville belge que vous préférez : Anvers.
La ville européenne que vous préférez : Amsterdam et Venise.
Dans quel pays auriez-vous voulu naître et grandir ? Question très difficile, mais j’aurais bien essayé l’Éthiopie.