INTERVIEW. Els Vanden Berghe (Pixii) : « Il ne suffit pas de construire plus intelligemment. Il faut aussi oser construire avec moins. »

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Le 15 mai 2025, lors d’Architect@Work à Courtrai, un débat aura lieu autour d’une des questions les plus urgentes du secteur de la construction : comment rendre la construction net-zéro faisable et abordable ? Le Green Deal européen fixe des ambitions claires, mais leur traduction en projets concrets en Flandre reste tout sauf évidente. Trois voix majeures du secteur débattront de stratégies pour réduire structurellement les émissions des bâtiments. Parmi elles, Els Vanden Berghe, directrice de Pixii.

« Il n’existe pas de définition unique de la construction net-zéro », explique Els Vanden Berghe. « Mais on peut la définir comme une manière de construire qui ne contribue plus au déséquilibre carbone entre la Terre et l’atmosphère. » Selon elle, deux étapes sont nécessaires, non sans nuances : d’abord, réduire au strict minimum les émissions à toutes les phases du cycle de vie d’un bâtiment ; ensuite, compenser les émissions restantes, par exemple via des projets qui extraient activement du CO₂ de l’atmosphère.

« Mais aujourd’hui, seules les compensations basées sur la nature sont réellement efficaces, comme la reforestation ou la restauration de zones humides. Et là aussi, il ne faut pas surestimer la capacité de ces systèmes. C’est pourquoi il est essentiel de commencer par limiter les dégâts. » Le risque de la notion de net-zéro réside dans l’illusion qu’on pourrait simplement compenser notre impact. « Il existe de nombreux projets de compensation carbone qui n’apportent quasiment aucune plus-value climatique. Peut-être devrions-nous parler aujourd’hui de construction bas carbone plutôt que net-zéro. »

Carbone incorporé

Le secteur de la construction reste encore trop focalisé sur les émissions opérationnelles. Or, même si des gains restent possibles, la moitié du problème – les émissions incorporées – reste souvent ignorée. « À mesure que les bâtiments deviennent plus performants sur le plan énergétique et que l’énergie renouvelable prend de l’importance, le carbone incorporé pèse de plus en plus lourd. D’autant plus que ces émissions ont lieu en amont, avant même l’utilisation du bâtiment. C’est lors de la phase de production qu’on peut faire la différence. » Elle plaide aussi pour une évaluation en chiffres absolus par projet, et non par mètre carré, ce qui rend la suffisance spatiale et énergétique cruciale.

Pixii agit sur plusieurs fronts pour rendre la construction plus durable. À travers des projets de recherche comme CASCO (Interreg Flandre-Pays-Bas), elle encourage l’utilisation de flux résiduels naturels issus de l’agriculture, de la sylviculture ou de la gestion paysagère. « Il vaut mieux aller au-delà de la construction biosourcée, qui peut être étonnamment impactante. » Pixii accompagne aussi des projets passifs, organise des formations et journées d’expertise, et tente d’influencer l’agenda politique.

La suffisance comme stratégie

Selon Vanden Berghe, la Flandre manque toujours d’un cadre légal clair et contraignant. « Nos voisins sont plus avancés. Tant que la construction bas carbone restera facultative et le fait de quelques pionniers, elle restera marginale. » Elle insiste néanmoins sur la nécessité de la nuance : toute extension de la réglementation ne doit pas se transformer en charge supplémentaire pour les petites entreprises. « Les obligations de FDES ou de reporting peuvent coûter cher. Et tant qu’on subventionne encore les gros pollueurs sans basculer vers le principe du ‘pollueur-payeur’, les petites entreprises et PME resteront à la traîne. »

Elle voit un fort potentiel dans une autre voie : la suffisance – non seulement comme complément à l’efficacité, mais même comme stratégie prioritaire. « Il ne suffit pas de construire plus intelligemment. Il faut aussi oser construire avec moins. Commencez par la question : doit-on vraiment construire ? La réaffectation des bâtiments sous-utilisés doit toujours passer en premier. Et si on construit, cela doit être aussi flexible et multifonctionnel que possible. » Sur le plan énergétique, elle voit du potentiel dans des approches low-tech et un usage dynamique de l’espace. « Nous chauffons et refroidissons aujourd’hui toute l’année les mêmes grands espaces ouverts. Et si nous adaptions le confort à l’usage saisonnier, en chauffant les personnes plutôt que les espaces ? »

Matériaux naturels

L’efficacité énergétique dépasse la seule technique. « Le confort, c’est aussi l’accessibilité financière. Un logement bien isolé rend moins dépendant de l’offre et du prix de l’énergie. Il s’agit aussi de santé : le climat intérieur est crucial, tant physiquement que mentalement. » Elle plaide donc pour une enveloppe de bâtiment alliant performance, ventilation, confort estival et matériaux naturels, à l’intérieur comme à l’extérieur. « L’esthétique est subjective, mais la santé et l’autonomie sont des valeurs universelles. »

Pour les matériaux, elle insiste sur une sélection contextuelle et adaptée à l’usage. « Juger un matériau uniquement sur sa conductivité thermique est insuffisant. Il faut aussi évaluer sa capacité de régulation d’humidité, sa finition, sa masse, sa circularité, et – très important – son processus de production, car un matériau naturel peut aussi être très impactant. » Elle privilégie les matériaux peu transformés, à cycle de croissance court et origine locale. « La construction en paille a chez nous beaucoup de potentiel : naturelle, disponible localement, idéale pour l’autoconstruction. » À long terme, elle voit aussi des possibilités dans des matériaux comme le mycélium, même si leur développement est encore en phase expérimentale. Et bien sûr, le réemploi passe toujours avant le recyclage. Les nouveaux matériaux doivent être modulaires et démontables.

La collectivité comme levier de transition

Dans la transition vers un environnement bâti net-zéro et bas carbone, la collectivité est une clé incontournable. Les systèmes énergétiques collectifs – réseaux de chaleur partagés, panneaux solaires, stockage et bornes de recharge communes – permettent une production, distribution et utilisation de l’énergie plus efficace à grande échelle. Ils réduisent le besoin de surdimensionnement des systèmes individuels et rendent la gestion énergétique plus flexible. Mais la collectivité va au-delà de la technologie : elle implique aussi le partage des espaces, des mobilités et des infrastructures, réduisant ainsi l’empreinte matérielle et énergétique. Dans cette logique, l’habitat ou le travail collectif s’accorde parfaitement avec le principe de suffisance – viser le suffisant plutôt que le toujours plus. En organisant les besoins de manière plus intelligente et en mutualisant les ressources, on peut réduire structurellement l’impact écologique, sans sacrifier la qualité de vie.

Un autre levier essentiel est la prolongation de la durée de vie des bâtiments. Cela commence par une enveloppe robuste, durable et performante. Les techniques, elles, deviennent vite obsolètes, et doivent donc rester accessibles et réparables. En les adaptant à une enveloppe efficace, elles peuvent être plus petites, plus simples, ce qui réduit les besoins en matériaux et facilite l’entretien. Cette approche s’inscrit dans une vision circulaire plus large, où les composants démontables et réutilisables conservent leur valeur et restent exploitables dans d’autres contextes futurs. Là encore, la collectivité peut jouer un rôle, par exemple à travers des installations techniques partagées ou des plateformes de réemploi dans les projets d’habitat collectif.

Limites planétaires

Et la question du coût de la construction net-zéro ? « C’est une fausse question. Imaginez un bâtiment mal isolé avec une installation de chauffage de 20.000 euros à remplacer deux fois en 60 ans. Vous aurez dépensé 60.000 euros, sans compter les frais énergétiques. Mieux vaut investir 50.000 euros de plus dans l’enveloppe. Vous aurez besoin de moins d’énergie, d’une plus petite installation, et une facture allégée. À terme, les économies sont bien plus importantes. » Le problème, selon Vanden Berghe : personne ne planifie à 60 ans. Elle estime que les primes et politiques flamandes sont trop axées sur la technique et sur le propriétaire. « Il faut mieux récompenser une enveloppe performante et lier cette récompense au bâtiment lui-même. Et pourquoi pas une taxe carbone, avec protection des groupes vulnérables ? »

Elle met toutefois en garde contre une vision trop technique de la durabilité. « On risque de s’enliser dans une logique d’optimisation : un meilleur mur ici, une installation plus performante là. Or construire, c’est plus que calculer. » Elle plaide pour un changement de mentalité plus global. « Le carbone est important, mais ce n’est pas tout. Il ne faut pas tomber dans une ‘vision tunnel’ carbone qui occulte les autres limites planétaires. » Son appel : prendre l’ensemble des limites écologiques comme base de réflexion, ou au moins les deux plus critiques : la stabilité climatique et des écosystèmes sains. « Ces deux aspects sont directement liés. Ce n’est qu’en les prenant ensemble qu’on peut construire réellement durable. »

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